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La politique de la calculette

Diego Esteban
Député au Grand Conseil — Coordinateur ATE Genève

J’ai rejoint les bancs socialistes au Grand Conseil en 2018, au début d’une législature particulièrement chaotique. Coronavirus, affaire Maudet, écarts monumentaux entre les budgets et les comptes… Pour qui se soucie de la bonne conduite de nos institutions, le calme retrouvé après le gros de la tempête laissait planer l’espoir d’un retour à des débats politiques engagés mais respectueux. Mais après un semestre dans cette nouvelle législature, je nourris de grandes inquiétudes sur la suite.

Nous savions que ces cinq prochaines années allaient être difficiles lorsqu’en début d’année, on troquait Ensemble à Gauche par Libertés et Justice Sociale (LJS), assistant ainsi à une réduction de l’assise parlementaire de l’Alternative et au renforcement de l’extrême-droite. Mais nous n’avions pas encore réalisé l’ampleur des dégâts. Sur le plan politique, parmi d’autres exemples, les coupes budgétaires votées par l’ensemble des partis de droite illustrent de manière limpide le glissement à droite du Grand Conseil : les libéraux anti-État dominent désormais tous les débats au sein du PLR, les chrétiens sociaux sont devenus ultra-minoritaires au Centre, et tant LJS que le MCG affichent des postures bien plus fermées au service public que ce que leurs slogans de campagne laissaient supposer.

Les partis de droite veulent coûte que coûte maintenir leur alliance, fondée sur leur unique ligne commune : le mépris envers la gauche et l’État. Au point que cette tactique est en train de gommer les particularités propres à chaque groupe. Le Centre tient des discours de plus en plus hostiles à l’égalité et à l’inclusion, et le MCG s’attaque à la fonction publique. Les élections fédérales étant désormais derrière nous, il semble que ce glissement vers une forme d’union entre le corporatisme libertarien et l’anti-wokisme identitaire n’est pas près de s’arrêter. En ligne de mire : le statut de fonctionnaire, les personnes transgenres, les droits des locataires, la liste est longue.

Le travail parlementaire est un long processus, censé permettre aux opinions politiques d’être confrontées aux faits, avec une culture de l’art du compromis servant à la recherche de la meilleure solution possible pour le plus grand nombre de personnes. En revanche, aujourd’hui, on assiste à des partis qui changent les positions qu’ils tenaient encore au printemps, ne font pas même l’effort de les argumenter – en séance plénière comme en commission – et semblent ne vouloir faire aucun effort de justifier leurs votes à partir du moment où une majorité leur est assurée. La droite va même jusqu’à modifier les règles du Grand Conseil pour « liquider » sans débat les projets minoritaires.

Le contexte est donc assurément difficile, quand les besoins élémentaires de la population sont menacés par une espèce de parti unique de droite, qui se contente de compter les votes à la calculette avant de passer au vote, parfois sans débattre. Heureusement, à Genève, lorsque la démocratie représentative échoue dans sa mission, la démocratie directe permet d’en corriger les erreurs. Le peuple compte sur nous pour le défendre, et si ce n’est pas au parlement que nous y arriverons, alors nous descendrons dans la rue !