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Enfin l’égalité politique pour les personnes handicapées

Par Thierry Tanquerel, Professeur honoraire de l’Université de Genève
et Cyril Mizrahi, Député et avocat Inclusion Handicap


L’article 48 alinéa 4 de la Constitution genevoise prévoit que les droits politiques des « personnes durablement incapables de discernement » peuvent être suspendus par décision d’une autorité judiciaire. Au sein de l’Assemblée constituante, les Socialistes ont proposé d’abroger purement et simplement la disposition qui privait automatiquement de droits politiques « ceux qui sont interdits pour cause de maladie mentale ou de faiblesse d’esprit », comme le dit encore l’article 136 de la Constitution fédérale. Au vu de l’intransigeance de la droite à l’époque, il a fallu faire un compromis : la privation ne serait plus automatique, mais résulterait d’une décision de justice. Ce compromis s’est révélé insatisfaisant, les juges ayant la main lourde pour priver de leurs droits politiques les personnes avec handicap mental ou psychique.

Les obligations internationales de la Suisse et les esprits – y compris au centre et, partiellement, à droite – ayant heureusement évolué, il est proposé aujourd’hui de renoncer à toute privation des droits politiques des personnes handicapées. Ce progrès doit être salué et résolument soutenu.

Le droit de vote est un droit « personnalissime », car, contrairement aux droits civils, il ne peut être exercé que par la personne qui en est titulaire. Il ne saurait y avoir, en démocratie, de citoyen-nes de seconde zone.

C’est pourquoi, la jouissance du droit de vote, hormis la condition de l’âge minimum, ne peut être soumise à aucun test de fortune, de culture, d’intelligence ou autre. Les droits civiques se distinguent aussi des droits civils en ce sens que la capacité de discernement, fondée sur la « faculté d’agir raisonnablement », ne saurait trouver application, tant leur exercice repose sur des choix purement subjectifs : il ne saurait y avoir d’opinions « raisonnables » et d’autres qui ne le sont pas.

Priver de son droit de vote une personne handicapée ou âgée constitue une discrimination aujourd’hui interdite par l’article 29 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, du 13 décembre 2006, qui lie la Suisse depuis 2014. Le Comité des droits des personnes handicapées, institué par la Convention, a clairement indiqué qu’aucune exception à la jouissance des droits politiques par les personnes handicapées n’était admissible.

La privation des droits politiques répond en fait à un faux problème : si la personne en cause est réellement incapable de se forger une opinion, elle ne va évidemment pas voter ; si en revanche, elle est capable de remplir un bulletin de vote, il n’y a aucune raison de la priver de ce droit en considérant que son jugement vaut moins que celui d’un autre électeur ou d’une autre électrice.

L’argument souvent invoqué en faveur de la privation du droit de vote des personnes en situation de handicap est celui du risque d’abus de leur faiblesse. Cet argument est injuste et absurde. Il est d’abord insultant de considérer que les aidants, professionnels ou proches, qui s’occupent de personnes handicapées, ont, de manière générale, l’intention d’abuser de leur position pour capter le vote de leurs protégé-es. Mais surtout, dans cette logique, il faudrait aussi priver de leurs droits politiques, les personnes malvoyantes, hospitalisées ou en EMS. Pour lutter contre la fraude électorale, si tant est qu’elle existe à une échelle significative en Suisse, il faut réprimer sévèrement celles et ceux qui s’y livrent et non en punir les éventuelles victimes.

La portée pratique de la réforme proposée est marginale pour le fonctionnement de notre démocratie. Elle est cependant très réelle pour les personnes concernées. Quant à la portée symbolique de cette réforme, en termes de reconnaissance de la dignité inaliénable des personnes avec handicap mental ou psychique, elle est considérable. Que le canton de Genève puisse devenir, le 29 novembre, pionner en la matière est un motif de se réjouir et de se mobiliser.

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