Le projet de loi soumis au vote populaire genevois le 22 septembre propose de réduire la durée de la formation universitaire pour les enseignant-es au primaire de 4 à 3 ans.
Une fois de plus, la droite propose un projet de loi inconsistant. L’argument principal est d’aligner la formation sur le modèle des Hautes Écoles Pédagogiques (HEP) en Suisse. Alors que justement, celles-ci envisagent le prolongement de leur offre de formation, ainsi qu’un dispositif d’intégration professionnelle prolongée.
Toujours selon la droite, raccourcir les études permettrait une entrée plus rapide sur le marché du travail, une réduction des coûts, et une formation moins théorique.
Le PLR affirme que beaucoup d’étudiant-es genevois- es préfèrent poursuivre leurs études à la HEP Lausanne, car celle-ci offre une formation plus courte et de meilleure qualité, engendrant ainsi des coûts de 5 millions par année. Réduire d’un an la formation genevoise permettrait donc d’éviter de telles dépenses. Cet argument ignore délibérément que si les étudiant-es quittent Genève, c’est à cause d’un numerus clausus trop strict. Comme l’affirme l’Institut Universitaire de Formation pour l’Enseignement, “ce n’est pas d’abord la durée des études qui motive leur choix, mais la quête d’un diplôme (…)”. Le problème réside donc ailleurs
En fait, la critique économique est infondée. Le modèle actuel, en proposant des cours mutualisés entre futurs enseignant-es et autres étudiant-es, est efficace et peu coûteux. Selon l’IUFE, même si le raccourcissement des études pourrait entraîner des économies, cellesci seraient contrebalancées par la nécessité de former deux catégories d’enseignant-es (cycle 1-4 et 5-8). Dès lors, on peut se demander si l’initiative de la droite ne cache pas simplement une stratégie visant à réduire les coûts salariaux associés à la formation.
En réalité, le modèle de formation actuel présente des avantages considérables. Les objectifs fixés par le département de l’instruction publique sont ambitieux : l’école vise à “donner à chaque élève le moyen d’acquérir les meilleures connaissances et compétences dans la perspective de ses activités futures et de susciter chez lui le désir permanent d’apprendre et de se former” (LIP, Art.10 al.1), et les attentes envers l’école publique sont croissantes (inclusivité, soutiens personnalisés, intégration des nouvelles technologies, etc.)
Réduire d’une année la formation compromettrait l’acquisition solide des bases théoriques et pratiques nécessaires à un enseignement de qualité répondant aux attentes de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP). La proposition de raccourcir la formation dévalorise le métier d’enseignant. De plus, étant donné que la majorité des enseignant-es au primaire sont des femmes, cela renforcerait les inégalités de traitement entre les sexes.
En conséquence, Genève, qui depuis 2006 offre une formation universitaire de qualité pour les enseignant-es du primaire, risque de perdre son statut, alors que la tendance en Suisse et en Europe est d’augmenter la durée de formation pour répondre à la complexité croissante de la société.
Ce projet de loi menace le développement de nos futures citoyen-nes et accentue les inégalités à Genève, au détriment d’une minorité privilégiée. Le PS s’y oppose fermement et rejette l’initiative visant à réduire la formation des enseignant-es du primaire.
Coprésidente de la commission éducation et formation du PS genevois
Un an de formation en moins, quelles conséquences ?
Entretien avec Francesca Marchesini, enseignante primaire et présidente de la Société pédagogique genevoise
Si la loi était adoptée, qu’est-ce que cela changerait concrètement ?
C’est difficile de répondre parce que cette loi vise à raccourcir la formation mais ne précise pas comment. On reproche à celle-ci de ne pas être assez pratique, ce qui est faux puisque Genève est le canton où les étudiant-es passent le plus de temps sur le terrain. Les critiques visent principalement l’année de tronc commun, durant laquelle on enseigne aux étudiantes des matières comme la sociologie ou l’économie de l’éducation. Ces matières sont obligatoires pour que la formation soit reconnue au niveau fédéral ; on ne peut pas les enlever parce qu’on considère qu’elles sont trop théoriques. Si la coupe se fait sur l’année de certificat, on va surtout réduire le nombre de stages en responsabilité. Dans tous les cas, une réduction de la longueur de la formation entrainera une réduction de sa qualité pour les enseignant-es, mais surtout de l’enseignement pour les élèves. Les études montrent d’ailleurs que la longueur et la qualité de la formation des enseignant-es ont un impact direct sur la qualité de l’enseignement.
Un argument qui a été avancé est celui de l’harmonisation avec les autres cantons. Est-ce que les enseignant-es à Genève sont trop formé-es ?
Cet argument est une aberration. Quitte à rentrer dans les comparaisons, la Suisse est le dernier pays de l’OCDE à former ses enseignant-es en 3 ans plutôt qu’en 4 voire 5. Les HEP des autres cantons suisses demandent à passer à 4 ans de formation depuis des années.
On dit beaucoup de bien du système scolaire suisse mais Pisa (ndlr : le Programme international pour le suivi des acquis des élèves) a montré que l’école primaire suisse reste très inégalitaire. C’est encore souvent l’origine sociale qui définit le cursus. Si l’argument consiste à dire que les autres cantons font très bien le travail en 3 ans, les comparaisons internationales indiquent que c’est faux. De plus, les études montrent que plus longtemps les enseignant-es sont formé-es et plus longtemps ils restent dans le métier. Genève donne une formation en 4 ans et contrairement à de nombreux autres cantons, la pénurie d’enseignant-es ne se fait pas encore ressentir (à part dans l’enseignement spécialisé). On est en droit de se dire que c’est peut-être corrélé.
Propos recueillis par Alexandre Goumaz