Philippe Morel, dentiste retraité, a travaillé 40 ans auprès de publics vulnérables – notamment au sein de permanences sociales, de services dentaires scolaires ou pénitenciers. Il a accepté de nous livrer son regard sur l’initiative « Pour des soins dentaires accessibles à toute la population » soumise en votation le 30 novembre prochain.
« Je suis totalement favorable à cette initiative car je reste convaincu de la grande injustice sociale qui prévaut dans le domaine de la santé bucco-dentaire. Par exemple, à la sortie du COVID, j’ai constaté sur le terrain que l’aggravation des caries chez les jeunes patient-es était nettement supérieure dans les cabinets des quartiers pauvres que dans ceux des quartiers riches.
En outre, à Genève, les études du Département de l’instruction publique (DIP) révèlent que 34 % des élèves de milieux modestes ont des caries à soigner contre des proportions plus de deux fois inférieures parmi les enfants de milieux aisés (15 %). Ces fortes différences s’inscrivent territorialement : le besoin de soins dentaires étant bien supérieur dans les communes ou les quartiers de Genève dont la population est de milieux modestes ou allophone.
Cet inacceptable contraste est constaté en raison d’une double cause : une moins bonne qualité de nourriture (dont une plus grande exposition au sucre) ainsi qu’une moins bonne hygiène dentaire – souvent provoquée par le manque d’information et de prévention.
Alors que les soins dentaires ne sont pas remboursés par l’assurance-maladie obligatoire, l’initiative propose de vraies solutions en insistant sur la dimension la plus essentielle : la prévention. Car, il faut le dire, le curatif est très onéreux et inefficace sans une prise de conscience des patient-es sur les bons gestes et habitudes à adopter.
C’est pourquoi, le chèque annuel de 300 francs permettrait à toutes et tous les bénéficiaires de subsides d’assurance-maladie de se rendre deux fois par an chez l’hygiéniste dentaire. De quoi assurer le principal : une intervention préventive ainsi qu’une information globale sur sa santé bucco-dentaire et les meilleures façons de la préserver. L’expérience me l’a enseigné : aucun travail de dentiste ne peut tenir si la prévention, via des contacts réguliers avec l’hygiéniste, n’est pas assurée.
L’idée que le canton dispose d’un-e médecin-dentiste cantonal-e capable de coordonner le dispositif est aussi intéressante. Comme illustré ci-dessus, il s’agit aussi de disposer de données fiables et actualisées permettant de cibler les actions de prévention sur les territoires les plus exposés au risque de caries. Cette personne devra, à mon sens, disposer d’un caractère bien trempé pour défendre une vision publique et d’intérêt général vis-à-vis du milieu de la médecine dentaire privée.
Quant au contre-projet ? Du « bla-bla » qui me semble loin d’être en mesure de permettre à la population genevoise de bénéficier, enfin, d’un réel accès à la prévention et aux soins dentaires. »
Propos recueillis par Gaspard Piguet