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Les applaudissements ne suffisent pas !

Laurence Fehlmann Rielle,
Conseillère nationale


Le secteur des soins infirmiers a urgemment besoin d’une meilleure reconnaissance et d’investissement dans la formation et la formation continue. On évalue que d’ici à 2030, il manquera 65’000 infirmières et infirmiers en Suisse. De nombreux soignant-es ont décrété qu’ils et elles allaient tenir le coup jusqu’à la fin de la pandémie mais risquent ensuite de se détourner de la profession si les conditions de travail et de salaires ne s’améliorent pas notablement. Actuellement déjà, environ 40 % des infirmières et infirmiers quittent la profession prématurément.

La profession d’infirmier et surtout d’infirmière n’est pas suffisamment considérée : cette situation trouve son origine dans le fait que l’on y trouve principalement des femmes et que ces dernières sont perçues comme ayant un sens inné du sacrifice et qu’elles fonctionnent très bien dans les soins et l’aide à la personne. C’est ainsi que ce secteur a été dévalorisé alors que notre société est très dépendante de la qualité des personnes exerçant cette profession.

La pandémie a aussi révélé que plusieurs secteurs, dont celui des soins, étaient d’importance systémique. Or, de récentes enquêtes ont montré qu’un tiers du personnel infirmier présente des symptômes d’épuisement professionnel, de dépression ou de troubles anxieux.

La situation est donc grave et il est urgent que la société prenne soin de celles et ceux qui nous soignent !

Le Parlement a certes adopté un contre-projet indirect qui tient compte des revendications de l’initiative en matière de formation et de possibilité de remboursement de certaines prestations de soins par les assurances-maladies. Mais il ne prévoit pas de mesures visant à augmenter la dotation en personnel, ni à améliorer les conditions de travail.

Si l’on n’intervient pas sur les conditions de travail, les efforts de formation resteront vains. Les soins infirmiers obligent à prendre des responsabilités de plus en plus importantes. Cela demande de très grandes compétences qui justifient des salaires adéquats et une planification des horaires tenant compte de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

C’est la raison pour laquelle le Comité d’initiative a maintenu l’initiative « Pour des soins infirmiers forts ». Il a parfaitement raison car l’initiative est beaucoup plus à même de proposer des solutions à la hauteur des défis qui nous attendent. Il est donc légitime de la soutenir le 28 novembre prochain.

 

« Je ne sais pas si je pourrai poursuivre jusqu’à la retraite »

 

Catherine* est membre du PS et infirmière depuis 30 ans. C’est donc avec un certain recul qu’elle pose un regard désabusé sur sa profession. Elle ne peut que constater la dégradation constante des conditions de travail dans le domaine des soins. Moins d’autonomie, moins de personnel formé, plus de stress… Le constat est sans appel : être infirmière en 2021 est un sacré challenge. De quoi nous convaincre – si nous avions encore des doutes – de voter OUI à l’initiative pour des soins infirmiers forts.

Postscriptum : Comment vois-tu l’évolution de la profession d’infirmier-ère ?

Catherine : Depuis deux ans, la situation s’est très sérieusement dégradée, comme chacun-e le sait, à cause de la pandémie. Mais selon moi, la situation sanitaire n’a fait qu’accélérer une péjoration des conditions de travail, en route depuis une dizaine d’années au moins.

PS : Quels sont les principaux changements que tu as constatés depuis dix ans ?

C : J’ai l’impression que nous sommes de plus en plus considérées comme des exécutantes. Plus grave : nous sommes constamment dans le « faire » : remplir des agendas, boucher les trous, réagir à une urgence. Nous n’avons plus d’espaces pour la réflexion, de temps pour nous former, ni même pour nous informer. Avant, j’avais l’impression que nous étions reconnues pour notre expertise et notre expérience, et ça se traduisait par une grande autonomie et une certaine confiance, qui étaient appréciables.

PS : Et la pandémie, qu’a-t-elle changé ?

C : Au début du covid, on nous a demandé d’en faire beaucoup plus, ce que nous avons bien sûr accepté car nous avions conscience de la gravité de la situation. Il y avait une belle dynamique entre les équipes et une grande cohésion parmi le personnel. Mais aujourd’hui j’ai l’impression que cette situation exceptionnelle se normalise, et que la dégradation des conditions de travail s’est installée durablement. J’ai beaucoup de collègues qui sont en colère, qui craquent ou qui font des burn out. À titre personnel, je me demande si je vais réussir à poursuivre cet emploi jusqu’à la retraite, alors qu’il ne me reste qu’une dizaine d’années à travailler.

PS : Est-ce que tu ressens le manque de personnel formé ?

C : Absolument ! On le ressent au quotidien. Nous sommes très clairement en sous-effectif, ce qui nous met sous pression. Et je ne parle pas de la formation continue dont l’offre ne fait que diminuer car nous ne pouvons plus nous absenter du terrain.

PS : Penses-tu que la profession manque de reconnaissance ?

C : Financièrement, c’est une catastrophe. Il n’y a jamais eu d’avancées majeures et ces dernières années mon salaire net a même diminué : j’ai atteint le maximum d’annuités, mais les retenues légales ont augmenté. Ça ne fait qu’amplifier un sentiment de manque de reconnaissance. Je suis certaine que la surreprésentation de femmes dans cette profession a un impact négatif sur la considération qu’on lui porte. Je ne sais pas comment ça se passe dans la police mais je ne serais pas surprise que les conditions de travail y soient nettement plus avantageuses.

Propos recueillis par Frédérique Bouchet

*Prénom d’emprunt

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