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Réforme de l’aide sociale: l’avant-projet de loi est désormais en consultation!

Thierry Apothéloz
Conseiller d'Etat — Chargé du Département de la cohésion sociale (DCS)

Depuis le 10 novembre dernier, l’avant-projet de loi sur l’aide sociale et la lutte contre la précarité, qui constitue l’un des objectifs phares de cette législature, est soumis à consultation auprès des partenaires, communes, syndicats et partis politiques. C’est une avancée majeure dans le combat contre la pauvreté et les inégalités, que vous me savez porter depuis le début de mon engagement politique. Un engagement qui a toujours consisté à être d’abord du côté de celles et ceux que notre société laisse au bord du chemin.

Avec sa croissance économique dynamique et son incroyable prospérité, comment justifier en effet que Genève ait laissé croître le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale de 76% en dix ans ! Il est aujourd’hui temps de repenser totalement la manière dont nous soutenons les plus fragiles et les plus vulnérables d’entre nous. C’est le but de cette réforme législative ambitieuse !

La loi actuelle est un échec, nul ne le niera. Entrée en vigueur en 2012, axée essentiellement sur l’injonction au retour à l’emploi – sans se donner les moyens d’y parvenir – elle n’a jamais réussi à enrayer la montée des inégalités dans notre canton. Pire, je pense qu’elle a fragilisé encore plus la situation de celles et ceux qui se retrouvent à l’aide sociale, sans véritable perspective d’en sortir. J’en veux pour preuve que depuis son entrée en vigueur, la moyenne du temps passé par les bénéficiaires à l’Hospice général a crû de 22 à 54 mois! Et les coups de canif portés par les autorités, qui ont émaillé ces dernières années l’aide sociale par des réductions successives de prestations, n’ont assurément rien arrangé.

Dans le cadre de cette réforme, nous changeons totalement de focale! En premier lieu, il s’agit d’offrir aux bénéficiaires des possibilités élargies de se former, de se qualifier ou de se requalifier afin de pouvoir au mieux s’intégrer dans un marché du travail exigeant, mais dynamique, et qui offre des possibilités d’emploi considérables, pour autant que les profils des candidat-es soient en adéquation avec les postes à repourvoir! Ceci, la législation actuelle ne le permet que très partiellement. Or, il faut toujours rappeler que Genève compte 330’000 places de travail, pour une population active de 220’000 personnes seulement! Il n’y a donc pas un problème de places disponibles, mais bien d’inadéquation entre celles-ci et les personnes en recherche d’emploi. Quand on sait que près de la moitié des personnes à l’aide sociale ne bénéficie d’aucune formation, on se rend vite compte de l’évidence qu’il y a d’agir sur ce volet.

Deuxième changement majeur: la franchise sur le revenu. Il faut aujourd’hui travailler à plus de 50% lorsque vous êtes bénéficiaire de l’aide sociale pour pouvoir toucher une modeste rétribution (300 CHF, puis 50 CHF par palier de 10%). Cela n’est ni juste ni incitatif pour celles et ceux qui pourraient reprendre une activité rémunérée et explique pour partie l’inacceptable allongement de la durée moyenne d’assistance! La nouvelle loi permettra au contraire de conserver en grande partie les salaires reçus, dès le premier franc gagné et ainsi de retrouver de la motivation à l’emploi.

Le troisième axe majeur de cette réforme concerne l’accompagnement social lui-même, qui ne devra plus se faire sous l’égide du contrôle et de la pression mise sur les bénéficiaires, mais sous le sceau de la confiance, par exemple en élaborant un budget avec la ou le bénéficiaire. Une telle approche est indispensable pour aider les gens à développer une image positive d’eux-mêmes et à renforcer leur pouvoir d’agir. En ceci, on diminuera les formalités administratives aujourd’hui trop nombreuses et on continuera d’assurer un accompagnement bienveillant et encourageant, même après la sortie de l’aide sociale. La réforme vise aussi à rééquilibrer l’insertion sociale et professionnelle, car proposer des mesures de retour à l’emploi est une perte de temps si la ou le bénéficiaire a une santé ou des conditions de logement précaires.

Enfin, un autre changement d’importance concerne le soutien aux personnes exerçant une activité lucrative indépendante, dont on sait par ailleurs qu’elles ont considérablement souffert de la crise pandémique, car exclues de la plupart des prestations sociales sous condition de ressources. Il s’agira de pouvoir les aider et les accompagner en cas de coup dur, sans qu’on leur demande de renoncer à leur activité professionnelle, comme c’est le cas dans la législation actuelle, ce qui est totalement absurde et contre-productif!

La réforme contient également de nombreuses autres nouveautés qui auront une importance cruciale dans l’amélioration du suivi social des personnes: renforcement de l’aide au logement, aide au désendettement, meilleure prise en compte des familles avec enfants dans le calcul des barèmes d’aide, montée en puissance des communes dans l’accompagnement de proximité et la détection précoce, ou encore développement d’une collaboration plus forte avec l’économie et les entreprises locales.

Certes le coût de mise en œuvre de ce dispositif est important. Il se monte à près de 30 millions de francs la première année. Mais par son efficacité, il permettra à un nombre croissant de personnes de quitter durablement l’aide sociale (alors qu’aujourd’hui 30% retournent à Hospice général après six mois) et de retrouver une place sur le marché du travail, permettant – et dans des proportions bien supérieures – un retour important sur l’investissement de départ. De toute manière, on ne dépense jamais à perte lorsqu’on investit dans la dignité humaine. N’est-ce pas là l’essence même de notre engagement socialiste?

Alors que la plupart des cantons adoptent progressivement une législation plus restrictive sur l’aide sociale, Genève est sur le point de faire exactement l’inverse! Plutôt que de contrôler, culpabiliser et stigmatiser les bénéficiaires, en espérant vainement que cela les incitera à se réinsérer efficacement, je préfère de loin les accompagner, mobiliser leurs compétences et leur offrir les meilleurs outils pour pouvoir s’en sortir en devenant des actrices et acteurs de leur parcours. Et pour celles et ceux qui n’y parviendraient pas, je fais le choix de leur permettre de vivre dignement, sans reproches et sans jugement.

Contrairement à ce que d’aucuns aiment prétendre, avec leur cortège de préjugés éculés, il faut toujours garder à l’esprit qu’être à l’aide sociale n’est jamais un choix, mais bien la conséquence d’un parcours de vie accidentel. Nul n’est jamais à l’abri de la précarité mais nous devons refuser de la considérer comme une fatalité.

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