L’initiative 187 a été déposée par l’UDC en 2022. Elle prévoit de ponctionner sur les villes 126 millions (Genève -50, Lancy -10, Carouge -6, etc.) chaque année pour les donner aux communes aisées (Veyrier +8, Collonge-Bellerive +6, Cologny +5, Chêne-Bougeries +11, etc.)1. Le PS s’oppose vigoureusement à ce texte et son contreprojet, soumis en votation le 18 mai 2025.
Prendre aux pauvres pour donner aux riches
Le projet de l’UDC, extrémiste s’il en faut, vise à supprimer toute forme de péréquation entre les communes. Imaginons un couple résidant à Cologny. Madame travaille à Lancy et utilise la piscine de Marignac à midi pour son sport. Le bureau de Monsieur est au centre-ville et il adore les terrains de squash de la Queue d’Arve. Passons sur les activités des enfants. Régulièrement, ils aiment se retrouver dans le cadre d’une soirée au Grand-Théâtre, avant d’emprunter les pistes cyclables pour rentrer dans leur belle commune de la rive gauche.
Aujourd’hui, lorsque ces contribuables paient leurs impôts, leur commune de résidence (Cologny) mais aussi les communes dans lesquelles ils et elles travaillent (Lancy et Genève) touchent une partie du revenu fiscal.
Avec l’initiative de l’UDC, ces contribuables deviendraient de véritables free riders ! Ce couple ne payerait plus un centime d’impôt à Lancy et Carouge (joli cadeau), tout en pouvant continuer à utiliser les infrastructures et prestations de ces villes. En prime dans l’opération : Cologny gagnerait 5 millions (et baisserait sans doute plus bas encore ses impôts) tandis que Genève et Lancy verraient leur budget de fonctionnement amputé de 60 millions par an. Qui, à part l’UDC (et quelques PLR…), peut défendre un tel projet
de société ?
Le contreprojet : une formidable supercherie politique
Que dire alors du contreprojet ? Dans le landernau, son point de départ est benoitement consensuel : oui, la péréquation intercommunale est une architecture complexe… Un authentique concentré de réalités historique, politique, économique et sociale. Il s’agit même de plusieurs couches de complexité qui se sont superposées au fil du temps, chacune reflétant une minutieuse recherche d’équilibres.
Qu’on soit sensible ou non à ces subtils compromis du passé, peu importe. En revanche, cette complexité n’est certainement pas une fin en soi, et l’ambition de simplification est dans l’absolu bienvenue. Là où le rideau se lève sur un formidable tour de prestidigitation politique, c’est lorsque les porteurs d’eau du contreprojet déroulent le « raisonnement » suivant :
- le statu quo, avec les mécanismes péréquatifs, n’est pas très transparent vis-à-vis de la population (quand bien même la taxation des contribuables indique noir sur blanc la part du lieu de domicile et celle du lieu de travail)
- la suppression de la composante de taxation sur le lieu de travail simplifierait grandement le système
- l’impact financier sur les communes serait nul… Comment ?
- grâce à une nouvelle couche péréquative à inventer et qui devra à son tour corriger les effets financiers de l’initiative !
Quelle supercherie ! Difficile de trouver, dans notre champ politique contemporain, une aussi belle illustration du serpent qui se mord la queue… Que le Centre, pourtant encore bien ancré dans les communes suburbaines, participe à ce tour de passe-passe est effarant.
Voir plus loin : quels risques pour Genève et la région ?
Dans un canton dense comme Genève, considérer que le lieu de travail doit lui aussi être un paramètre de l’imposition des personnes physiques a longtemps fait l’objet d’un large consensus. Il fut même un temps où l’on a espéré que le Tribunal fédéral accepte l’idée que les pendulaires vaudois-es paient aussi quelques impôts dans le canton de Genève, là où ils travaillent, utilisent les routes et transports publics, les équipements sportifs et culturels, etc.
Renoncer à tenir compte du lieu de travail dans l’imposition des personnes physiques mettrait clairement en péril les finances de nos villes, nous l’avons vu. Mais renoncer à ce principe ferait aussi courir un risque à une autre échelle, celle de nos relations avec la France.
Depuis 1973, Genève peut s’appuyer sur sa propre logique fiscale (imposition sur le lieu de domicile ET sur le lieu de travail) pour fonder celle – unique, pertinente et avantageuse – qui la lie à Paris. Les frontaliers et frontalières qui travaillent à Genève sont imposé-es à la source sur le lieu de travail tandis que seule une petite partie (3.5 % de la masse salariale brute) est reversée aux autorités françaises (lieu de résidence).
Ce ne sera pas simple d’aller expliquer à Paris que Genève a supprimé toute imposition sur le lieu de travail… sauf pour les personnes frontalières ! Dans les autres cantons, c’est d’ailleurs déjà la France qui impose ses résident-es travaillant en Suisse, et qui reverse ensuite une petite partie aux cantons concernés… Genève et la région auraient beaucoup à perdre à passer à ce modèle. Mais si on décide de l’abandonner pour nous, comment alors lui trouver des justifications pour d’autres ?
Veut-on vraiment se tirer deux balles dans le pied ? Pour ne pas affaiblir nos villes et notre région, votons 2 fois NON !